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« Torno subito », de François Durif : le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

« Torno subito », de François Durif, Verticales, 252 p., 22 €, numérique 16 €.
LE TEMPS DES CONFETTIS
Qui se souvient aujourd’hui qu’il y a eu une vogue mondiale des confettis au tournant des XIXe et XXe siècles et que celle-ci a commencé au Carnaval de Paris en 1890 ? C’étaient plusieurs milliers de personnes qui vivaient alors de la fabrication et de la vente de ces petites rondelles de papier, au point qu’aux demandes réitérées de la Préfecture de police pour les interdire (à cause des problèmes sanitaires qu’elles posaient), des conseillers de Paris répondaient que cela jetterait toute une population dans la misère. L’histoire du confetti, dont François ­Durif donne de grands pans dans son livre, est riche de toute une culture un peu enfouie (chansons, récits, images, discours sociaux nombreux). Elle rejoint par certains aspects celle des chiffonniers : toutes deux sont liées à la grande époque de l’industrie du papier. Il fallait des chiffons pour préparer la pâte, et la fabrique des feuilles entraînait des déchets pouvant servir à une production de pure perte : confettis, serpentins. Aux chiffonniers le labeur, aux confettistes (mot aujourd’hui disparu, avec le métier qu’il désignait) la fête. Deux temps de la récup, le chiffon pour le gain, le confetti pour la dépense. Après les larmes, une pluie de joie.
Torno subito est pourtant loin d’être une simple histoire du confetti. François Durif est conscient du pouvoir symbolique de la petite pastille qui peut être métaphoriquement bien des choses, et ainsi notre temps morcelé, les débris de souvenirs, les chutes de vie passée, ce qu’il restera de nous. Il fait du confetti un geste – passer toutes ses archives à la perforeuse ou à l’emporte-pièce pour produire son poids en confettis, comme l’artiste Felix Gonzalez-Torres avait exposé dans un musée le poids en bonbons de son compagnon mort du sida – et un programme d’écriture. C’est le projet qu’il a proposé au concours de la Villa Médicis, où il aurait pu entrer en tant qu’artiste – il a été diplômé des Beaux-Arts et a travaillé plusieurs années pour Thomas Hirschhorn – mais où il a débarqué comme écrivain, après la publication de son livre Vide sanitaire (Verticales, 2021). Se détourner de l’art pour en retrouver la possibilité, mettre l’écrit en pièces pour continuer à écrire, abandonner pour créer : c’est ce qu’on pourrait appeler la puissance du confetti. « En fabriquant mes confettis, je me mets à l’abri d’une trop grande attente à mon égard. » Puissance modeste, qui rapproche la création de certaines tâches domestiques ou subalternes, qui retire presque toute son autorité à l’art.
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